Wei Lun Wang est un designer produit mais aussi un social designer. Intriguée par son projet de diplôme The Other Tutorial, à la Design Academy de Eindhoven, j’ai voulu savoir ce à quoi se reportait cette branche du design.
Son projet s’éloigne du fonctionnalisme traditionnel du design. Ici la fonction est de nous faire ré?échir. Wei Lun Wang mêle l’absurde, le satirique et l’ironique dans un design conceptuel. Il veut déclencher une prise de conscience sur l’évolution de notre société. Et ça marche. Voici notre entretien.
– Qu’est ce qui a inspiré ton projet ?
Wei Lun Wang : Mon projet est issu d’une ré?exion sur les écoles privées à Taïwan. L’école privée est très populaire, c’est une sorte de système informel de l’éducation. Les gens peuvent se joindre à toutes sortes de classes dans leur temps libre. De 6 à 80 ans, on peut avoir accès a di?érents types d’apprentissages. Les leçons varient : des cours de langues, sports, mathématiques, maquillage, comment sourire, utiliser ses yeux, cuisiner, savoir si votre mari vous trompe, ou encore comment avoir une petite amie. Dans tous les domaines, il y a une réponse et une méthode singulière à chacun, a?n d’apprendre comment réussir dans la société.
Les écoles privées peuvent être considérées comme un microcosme de notre société. Nous pouvons simplement voir ces classes comme di?érents types de design de services. Et parce que notre société a le désir ou fait pression pour que les gens deviennent toujours meilleurs, ces classes ont émergé. Ainsi, mon projet provient de mon expérience personnelle à Taïwan, mais concerne ?nalement la tendance générale du design.
Aujourd’hui, quand on regarde le design d’objet, de produit, de service, de système ou tout type d’innovation autour de nous, on remarque la tendance à vouloir sans cesse s’améliorer. Nous voyons constamment des instructions, assistances ou d’autres manières de nous forcer à devenir quelqu’un de meilleur. Les Google glasses nous révèlent un nouveau comportement par le clignement des yeux, pour une communication plus e?cace. Les smartphones nous o?rent une nouvelle gestuelle tactile et nous disent comment saisir les informations environnantes. Du robot aspirateur à l’iPhone, ces designs intelligents nous permettent de faire plusieurs tâches simultanément. Des pilules pour augmenter la performance physique aux premiers pas vers les bébés génétiquement modi?és, ces outils pour entretenir l’humain permettent de nous adapter sans cesse.
Le design de nos jours améliore et valorise constamment l’être humain. Notre identité et notre ego sont construits sur la base de ces conceptions du design. Nous apprenons à devenir performants, multifonctionnels et plus e?caces. J’ai juste peur d’un avenir où tout le monde aurait la capacité de tout faire et deviendrait ainsi un surhomme.
– Tu peux donc nous expliquer ton projet ?
Wei Lun Wang : Mon projet de ?n d’études critique donc cette tendance du design actuel, essayant d’améliorer constamment l’être humain pour qu’il devienne un surhomme.
Ma recherche s’est concentrée sur la création d’une alternative à cette tendance a?n de redé?nir davantage notre relation avec notre environnement. Le résultat a été une méthodologie de la « rétrogradation », introduisant un handicap dans notre comportement surévolué. Ce projet a pour objectif de nous contraindre à ralentir nos rythmes de vies pour mettre en valeur les expériences négligées, accroître notre sensibilité et re-sentir notre vie quotidienne.
Le projet comprend trois sortes de tutoriels pour détacher l’homme de son apparence, de son expression et de son mouvement. Ils montrent des approches possibles pour se détacher de notre société et ses normes collectives. Ces propositions sont des excuses pour protester contre la normalité actuelle, en se comportant di?éremment. De cette façon, ces incapacités nous permettent de réévaluer, ré-expérimenter et redé?nir notre relation avec notre environnement. Plus d’informations sur la démarche ici Cette page explique mon projet et les processus de recherches.
– Ton projet précédent comme Second Skin montre une sorte de design satirique : tes créations dénoncent l’évolution de notre société mais sans proposer de solution. Cette fois ci, ton projet a pour ambition de créer une solution par soi-même, ce qui n’est pas toujours le cas des tutoriels.
Wei Lun Wang : Je ne vois pas mes projets comme une solution, mais plus comme une alternative à cette société et ses tendances du design à vouloir constamment nous améliorer. Ces tutoriels fournissent une approche plus souple a?n de pénétrer les façons dont nous explorons, sentons et expérimentons la vie quotidienne.
Trois tutoriels résultent de mon projet, mais ceux-ci se concentrent sur une méthodologie de « rétrogradation » des êtres humains. Mon design est plus centré sur la méthode et le design thinking à propos des innovations futures. Les objets, tels que le set de rasage, les masques faciaux, et les bâtons de marche, ne sont pas des réponses ou des solutions. Je n’incite pas les gens à marcher avec une simulation d’handicap, mais je voudrais qu’ils se demandent pourquoi on devrait toujours aller plus vite et être occupé à chaque instant. C’est pourquoi le tutoriel n’explique pas comment construire les objets que je montre dans mes vidéos. Ils sont là pour créer un état d’esprit apte à avoir une ré?exion sur ce monde de l’amélioration sans ?n.
Alors e?ectivement ce projet fait aussi preuve d’un design satirique et ironique de mon point de vue. Je continue d’utiliser une approche absurde et exagérée pour critiquer les problèmes, déclencher la prise de conscience, et faire ré?échir sur nos situations actuelles. Mes tutoriels montrent des comportements surjoués dans les vidéos. Avec cette absurdité, j’espère faire ré?échir les gens sur ce futur surhumain (ce vers quoi notre amélioration tend) qui est aussi une sorte de démence. Je ne dénonce pas l’évolution en elle-même, mais je doute de sa tournure actuelle. Est-ce qu’on veut encore plus de nouveaux comportements ? Devrions-nous ajouter de nouvelles expériences aux êtres humains ? Quelles sont les qualités de la lenteur, du silence et ainsi de suite ? Ne sommes-nous pas assez avancés, forts, rapides, propres, multifonctionnels et productifs ? Pouvons-nous avoir une prochaine évolution tournée vers notre rétrogradation ?
Cette dernière est peut-être nécessaire parce que nous sommes déjà trop performants.
– J’ai vu que tu étais dans la section Social Design l’année dernière, à la Design Academy de Eindhoven. Peux-tu nous en expliquer les enjeux ?
Wei Lun Wang : « Pourquoi est-ce que tu fais du design? » Pour moi, le social design est une notion très large, mais est essentiellement tourné vers la société et les gens. La dé?nition et la méthodologie du Social Design peuvent être di?érentes d’une personne à une autre. Il permet plus de questionner et dé?nir ce qu’est le rôle d’un designer, l’impact qu’a ses créations et comment il développe et in?uence la société.
Personnellement, je pourrais donner quelques mots clés pour ma vision du Social Design : regarder en arrière, fragile, irrésolu, obsolescence, neutre, et ironique.
Ce sont à la fois des méthodes et des principes que j’applique. Une de tes tâches durant la première année à l’école est de développer ta propre vision, dé?nition, et méthodologie en tant que social designer. La société est en train de changer trop vite de nos jours, alors quelle sorte de design, modèle, produit, système, stratégie avons-nous besoin pour lui correspondre ?
Je viens juste de voir que le site de l’école a mis à jour une nouvelle description, qui est super bien. Peut-être que tu peux y jeter un coup d’œil.
– Et maintenant qu’est ce que tu fais ? Quel est exactement ton travail quand tu es social designer ?
Wei Lun Wang : Je dois dire que, actuellement, je n’ai pas un « emploi » en tant que social designer. En ce moment je travaille comme designer dans un studio qui se concentre sur des produits commerciaux. Mais en même temps, je me consacre à mes propres projets de social design, incluant des workshops, des interventions dans la rue, des méthodes de recherches et des plateformes de dialogues dans le domaine du design.
Les workshops ont di?érents sujets, selon les commissions. Mais en général, ils ont quelques points en communs : l’intégration des habitants dans les processus de design, changer le rôle de designer vers celui de médiateur et créer des interactions sociales au sein de la communauté. Les sujets vont des événements dans un hôpital, ouverture d’une nouvelle société, aux partages et apprentissages entre designers ou étudiants.
Actuellement, je plani?e également de lancer mon propre whorkshop lié à mon projet de diplôme. J’espère qu’il va se réaliser bientôt.
Pour revenir à l’intervention, la méthode de recherche, et la plateforme de dialogue. En ce moment, je ?nance une plateforme à Taïwan, qui promeut les projets de Social Design conceptuels et le partage d’idées. En?n, en plus de cela, je suis également l’un des membres du Fictional Collective à Eindhoven.
Texte traduit d’après l’anglais Merci à Wei Lun Wang d’avoir pris le temps de répondre à mes questions
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« POUR DEVELOPPER MA PROPRE VISION JE REGARDE EN ARRIERE » declare wei-lun-wang-….. On est pas loin du post humain, du trans humain…. Sans convoquer une psychanalyste lobbyiste qui prend bien trop cher pour presque rien , je dirais que ce type de design c’est comme faire un contre pied en handi sport et je m’arrête là….. Je convoque donc une tendancieuse narrative de Paris, capitale de la mode Eindhoven capitale des art designers car les plaisanteries les plus Ekelkoort sont les meilleures….http://www.thewrendesign.com/wp-content/uploads/design-indaba/design-indaba-pg-6.jpg
Design sadique ? Le designer prendrait donc du plaisir dans la souffrance infligée aux autres. François Jégou nous cite en exemple les bancs anti-SDF (cf polémique du design défensif).Ici Wei Lun Wang nous exhorte à trouver nos propres amputations/handicaps pour redéfinir notre relation avec notre environnement : design masochiste ?Certe le projet flirt avec la perversion quand on lit la définition d’Elisabeth Roudinesco comme un asservissement volontaire conçue comme la plus haute des libertés (cf La part obscure de nous même).Il est vrai que définir le design social par rapport à ce projet est réducteur et ambigu : il se concentre sur une phase anti-social pour in fine être plus confiant dans nos rapports sociaux. Mais ce projet est intéressant car il s’éloigne du pragmatisme du « vrai » design social allant de l’auto stop urbain, bibliothèques/givebox de quartiers aux playpumps en Afrique. Et si en réalité ce projet ne changera pas notre quotidien il permet d’élargir la vision du design social.
Apres avoir ecouté une présentation-débat sur le design social et l’innovation sociale d’ 1 heure autour de François Jégou et Thomas Lommée, animée par Marie Coirié à L’ensci , j’ai retenu design sadique comme qualificatif -du projet de wei lun wang
DESIGN SOCIAL = DESIGN HUMANITAIRE OU DESIGN EMPATHIQUE? Le » social design » a moins d’occurences en anglais sur google que le »design social » en français donc en France si je ne fais pas une erreur d’inference…. Dans cette logique empathique du design social qui avait été éclairé par la biennale de Saint Etienne, l’Ensci les ateliers (sociaux ?) et l’université de Nîmes ( Stephan Vial qui a quitté l’école Boulle y est mâitre de conf) vous donneront des pistes… qui ne sont pas qu’africaines… Comme le disait l’historien norvegien et philosophe du design Kjetil Fallan lors d’une récent colloque à Milan sur le design social, l’étiquette designer social n’est pas une garantie de bienveillance…..https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/736x/56/53/8a/56538addffe9ef59a65e76bd4b0393c3.jpg
Pas convaincu par son « design social » . Je trouve que c’est du design de l’attention Voir le « vrai « design social, le-design-social-n-est-pas-si-simple dans le Mondehttp://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/10/29/le-design-social-n-est-pas-si-simple_1433173_651865.html