Suite à la visite de la dernière Biennale Internationale du Design de St Etienne, nous avons eu la chance de rencontrer le Designer Sonore maison de chez Orange, Pascal Taillard. Intrigant au premier abord, de se dire quelles sont ses attributions, son rôle, ses créations, son parcours…
Quel est votre parcours ?
Formé aux métiers de graphisme publicitaire et arts appliqués, j’ai d’abord exercé la fonction de designer graphique en studios de création et de directeur artistique en agences de communication. Après ce passage dans le print, l’essor de l’internet, a donné un nouveau virage à mon parcours. C’est en 1999 que je décide de suivre la formation des métiers de l’image à l’école des Gobelins en tant que concepteur/réalisateur multimédia. C’est durant cette formation que j’ai pu observer le potentiel du son comme vecteur de sens et d’émotions lié à l’image mais aussi pour les IHM (Interfaces Homme/Machine).
Il faut dire qu’en tant que musicien, le son, à la grande époque du CD-Rom, ne pouvait pas me laisser indifférent.
En 2000, j’intègre le pôle France télécom multimédia et services au sein de Wanadoo Portails. Je suis recruté chez Orange en 2002 ou je travaille sur différents domaines d’applications multimédia & Richmédia. Je collabore à la création de la charte vocale et sonore, principalement l’habillage musical et vocal des services vocaux d’Orange.
En 2005, je suis recruté à l’Explocentre, le pôle de l’innovation du Groupe Orange et monte le département de design sonore. L’occasion m’a été donnée de traiter la sonification sur différents projets innovants. Depuis 2010, c’est désormais au Technocentre, chez D&U, puis à XDLab que je porte le design sonore comme un élément essentiel du design, résolument orienté vers l’usage et l’expérience utilisateur.
Quel est votre rôle au sein d’Orange ?
Aujourd’hui, je dirige l’entité design sonore à XDLab (eXpérience Design Lab), le centre de design et de recherche intégré du groupe Orange. XDLab réunit les Sciences Humaines et le Design au service de l’innovation et de l’identité de marque.
En quoi consiste le post de designer sonore au sein d’une grande entreprise ?
Le son fait partie d’une réflexion globale de design notamment en ce qui concerne l’expérience que l’on peut avoir avec un objet qu’il soit connecté ou non, un environnement, un service. Le son est aussi un outil supplémentaire d’attribution, d’évocation, de mémorisation et de promotion d’un produit, d’une interface mais aussi de l’identité d’une Marque.
A l’occasion du programme Orange User Interface lancé au Technocentre en 2012, j’ai proposé de créer l’identité fonctionnelle d’Orange pour les produits et services. Ce volet du design était jusqu’à lors très peu exploité.
La question posée était la suivante : qu’est-ce qui fait qu’un son soit reconnaissable comme identité fonctionnelle et sonore de la Marque ? Ou comment traduire les valeurs de la Marque par le son ?
J’ai donc défini des principes et des fondamentaux basés sur la voix (l’approche humaine et sensible) et les sons du quotidien. Ce sont des interjections et onomatopées associées à des sons acoustiques. Par exemple : « ho ho » suivi d’un son décroissant alerte que le niveau de batterie de votre téléphone est faible. C’est une manière singulière de traduire les valeurs d’Orange par le sonore, une façon « d’humaniser » l’interaction homme/machine. C’est l’expression sonore d’une posture émotionnelle dans un contexte fonctionnel.
J’ai donc réalisé un set de sons et de sonneries propre à la marque Orange que l’on retrouve aujourd’hui dans nos produits et services.
Quels sont vos projets / réalisations ?
J’exerce au sein d’une équipe pluridisciplinaire de manière transverse et je réponds à toutes les demandes émanant du Groupe. Je peux aussi bien répondre à des besoins de sonification d’interfaces que d’enregistrements de voix off que je fais en studio interne. Je peux tout aussi bien créer un jingle pour un service ou la musique originale d’une vidéo pour la promotion interne et externe.
Quelle sont vos tâches au quotidien / sur un projet ?
Le projet jusqu’ici le plus marquant a été la sortie du téléphone NeoRetro, un projet dont la volonté était de remettre le téléphone fixe au centre du foyer. C’est un travail interne XDLab mené avec un designer produit et un UX designer.
NeoRetro n’est pas un téléphone comme les autres. Il reprend les codes formels du passé avec tout ce qui fait la connectivité et l’innovation d’aujourd’hui. Pour la conception, nous avons dû nous replonger dans l’histoire des Télécoms.
Quoi de mieux que la collection historique d’Orange pour cela. A cet endroit (lieu très confidentiel) s’étalaient devant nous 200 ans d’histoire des communications. De mon côté, j’ai pris un enregistreur de poche et me suis mis à faire tinter, bouger, secouer tout ce que je pouvais pour trouver l’inspiration.
Dans ce travail qui a fait l’objet d’un crowdfunding, une première pour Orange, j’ai réalisé l’ensemble des sonneries et sons du combiné. Il a été d’ailleurs proposé aux contributeurs de voter pour leurs sonneries préférées. Ce sont celles que l’on retrouve aujourd’hui dans le NeoRetro.
Sur quel projet travailler vous en ce moment ?
Djingo. C’est l’assistant vocal d’Orange au même titre que l’Amazon echo, le Google home ou encore le Homepod d’Apple, pour ne citer qu’eux. C’est une nouvelle façon d’interagir, non plus avec une souris ni de manière haptique mais uniquement par la voix. La voix est au cœur de ce nouveau mode d’interaction puisqu’il n’y a plus d’écran.
La voix est l’une des formes les plus importantes de la communication humaine qui va bien au-delà d’une simple juxtaposition de mots. Selon Aron Arnold, docteur en science du langage, la voix indexe des attitudes, des postures, des émotions et des identités. Elle embarque de nombreuses modalités d’expressions telles que sa hauteur, sa mélodie ou encore ses silences. Autant d’éléments qui participent à la portée des messages.
Évidemment, choisir une voix pour un agent conversationnel pose des questions de genre. On associe souvent la voix masculine à la technologie, à l’expertise ou au savoir. Tandis que le soin, l’attention à l’autre, le service, l’aide est plutôt transmise par une voix féminine. Ceci pose aussi la question de représentation. Dans le cas d’une conversation téléphonique, on se représente souvent l’image d’une personne qu’on ne connaîtpas. La voix donne souvent un indice sur son physique, son caractère de part le timbre, si elle plutôt grave ou fluette. Et selon une étude, en une demi-seconde, on est capable de juger de sa fiabilité uniquement sur le son et la tonalité de sa voix.
En tant qu’assistant vocal, Djingo se doit d’être le reflet de la personnalité de la marque Orange.
La marque Orange en France porte déjà une identité vocale. Ce n’est pas juste une voix, elle engage Orange dans la relation avec ses clients. Et elle a déjà fait ses preuves. C’est cette même voix féminine que l’on retrouve dans tous les contacts entre la marque et ses clients depuis plusieurs années maintenant : que ce soit en radio, dans la signature sonore de notre logo, ou sur nos services vocaux interactifs.
Je n’envisageais pas d’utiliser une autre voix pour notre assistant. Djingo est une émanation d’Orange, en l’interrogeant, en conversant avec lui, on est en relation avec Orange. Il n’y a pas de rupture entre les services. Nous préservons cette cohérence d’identité vocale. C’est aussi un gage de reconnaissance.
L’assistant vocal comme enjeux, en quoi un designer sonore à son rôle à jouer dans ce genre de projet (au delà de la conception physique)
Dans un contexte de voix artificielles, il ne fallait pas trop nous éloigner de l’identité vocale d’Orange en place. Nous ne voulions pas perdre ce lien étroit entre la voix de la marque, entre ce qu’elle porte comme valeur, et nos clients.
Créer une voix de synthèse pour Djingo, tout commence par des enregistrements de notre voice talent auxquels j’ai participé. Nous avons convenu de produire une voix sur le ton déjà convenu de la marque. Mais pour une restitution en synthèse, il nous fallait garder une prosodie constante afin de conserver une certaine prosodie naturelle. Nous avons pu très vite tester la voix en TTS (Text to Speech : application qui permet de créer un contenu vocal à partir d’un texte). Pour expliquer brièvement, la voix de synthèse est faite de segment des phrases enregistrées en studio, elles sont découpées en phonèmes, artificiellement attachés les uns à la suite des autres par une analyse algorithmique, puis restituées vocalement à partir de réponses déjà écrites.
Bien que la restitution soit de qualité et proche de ce que l’on souhaitait, nous perdions les caractéristiques de l’expression orale, c’est-à-dire l’émotion que chacun peut mettre dans un certain contexte d’échange verbal.
C’est ainsi que j’ai repris l’interjection, ingrédient sonore majeur chez Orange, comme vecteur émotionnel de la part de l’assistant. C’est aussi un moyen de donner un indice sur le ton de la réponse alors que le TTS ne le permet pas.
Exemples :
Ho ho … un problème est survenu.
Heuu.. je n’ai pas compris, pouvez-vous répéter ?
Ha ! Voici quelque chose qui peut vous intéresser.
Ces vocalisations émotionnelles ou interjections sont associées à certaines réponses de Djingo, dans des contextes particuliers, pour porter une dimension plus humaine et naturelle à l’interaction. Ce sont des éléments incontournables de l’expressivité. Ils créent la surprise, enthousiasment, encouragent à interagir encore plus. Ceci confère à Djingo une présence plus empathique, en créant du lien et de la proximité. C’est ce qui nous a été rapporté lors des tests utilisateurs.
Djingo reste cependant un agent artificiel. C’est pour cette raison que les interjections sont agrémentées de notes de piano, graves pour les expressions négatives ou aigues pour celles plus positives. Ceci ramène Djingo à ce qu’il est intrinsèquement, c’est-à-dire à un système à valeur fonctionnelle, un service et non à un individu.
Comment je fais pour devenir designer sonore ?
Aujourd’hui, et c’est une chance, il existe des formations et écoles dédiées à la conception sonore. Mais je ne voudrais pas faire la promotion d’une école plus qu’une autre. La plus connue je pense est l’école supérieure d’art et de design TALM-Le Mans. La formation Design sonore est proposée en partenariat avec l’IRCAM (Institut de Recherche Coordination Acoustique Musique) et l’ENSCI (École Nationale Supérieure de Création Industrielle) à Paris et l’Université du Maine et son Laboratoire d’Acoustique, le LAUM rattaché au CNRS au Mans.
IL y a aussi la formation à l’Ecole de cinéma et de télévision à Paris, L’EICAR, en lien avec les métiers du cinéma et de la télévision.
Merci à Orange et plus particulièrement à Pascal Taillard pour ces explications, sa disponibilités et conseils !
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