C’est sur les hauteurs d’Hyères, au sommet d’un terrain escarpé aménagé en jardin, sur les ruines du Clos Saint-Bernard que le vicomte et la vicomtesse Charles et Marie-Laure de Noailles décident de faire bâtir leur maison de villégiature.
En 1923, ils décident de faire appel au jeune architecte Robert Mallet-Stevens (1886 – 1945), qui jusqu’alors est surtout connu pour ses travaux de décorateur.
La construction initiale dure deux années, de 1923 à 1925, où Mallet-Stevens aidé du maître d’œuvre Léon David va ériger l’une des toutes premières constructions de style moderne de France.
En effet, la villa répond parfaitement aux préceptes fondateurs du mouvement rationaliste dont les maîtres mots sont : fonctionnalité, absence d’éléments purement décoratifs, lumière, hygiène et technologie.
Le bâtiment initialement proposé par Mallet-Stevens est donc plutôt « modeste ». Il repose sur les ruines de l’ancien couvent et se compose de cinq chambres, d’un séjour et d’une salle à manger. Dans un souci d’hygiénisme de l’époque, toutes les chambres sont dotées de leur propre salle de bain ainsi que de leur terrasse individuelle.
Afin d’obtenir un maximum de lumière aux pièces de vie, elles sont toutes orientées plein sud contrairement aux circulations et escaliers situés au nord et éclairés par des puits de lumières et vitraux de Louis Barillet, laissant entrer la lumière zénithale.
De l’extérieur, la villa est dessinée par des cubes savamment imbriqué jouant avec les pleins et les vides. L’articulation des volumes et les porte-à-faux rend l’architecture vivante au rythme du soleil créant ainsi des jeux d’ombres et de lumières.
Le dessin de l’édifice se lit comme une promenade architecturale. L’horizontalité privilégiée est équilibrée grâce à un volume vertical : le belvédère qui accueille l’escalier. Cependant, le belvédère initialement érigé va être rabaissé à la demande du propriétaire qui le juge alors inutile et trop décoratif.
Les toits sont plats, ces toits-terrasses permettent aussi de révéler la maison sous un autre angle.
La villa dessinée par le jeune architecte semble donc être un parfait modèle de l’esthétique que permet le béton armé.
Cependant, il n’en est rien. Cette construction avant-gardiste bâtie entre les deux guerres va se contenter et s’adapter aux techniques traditionnelles et locales du sud de la France.
Ce matériau va ensuite être enduit afin d’homogénéiser l’ensemble des différents bâtiments qui a permis de rapprocher l’architecture au mouvement De Stijl.
A l’image de ses propriétaires, la maison ne cesse d’évoluer entre démolitions et extensions dans le but d’accueillir toujours plus de convives. Les plans de Mallet-Stevens changent au cours de la construction afin d’y introduire d’avantage de chambres.
Les Noailles font intervenir jusqu’en 1932 divers architectes. C’est ainsi que la petite maison passe en 1925 de cinq à neuf chambres puis en 1926 jusqu’à quinze chambres d’amis et plusieurs chambres de domestiques dans différentes annexes. Les chambres des domestiques sont pour leur part traitées avec moins de confort.
De l’extérieur, les volumes sont impressionnants. Néanmoins, les pièces à vivre et les chambres restent relativement modestes bien que fonctionnelles en adoptant des mobiliers intégrés en niches à l’architecture. De grands placards muraux sont présents dans toutes les chambres.
Toujours dans une volonté de confort, les Noailles font poser une horloge sur le mur de chaque chambre, toutes reliées à un mécanisme central.
Le désir d’un équipement sportif et de sanitaires très poussés relève du courant hygiéniste. En 1927, la Villa Noailles est l’une des premières maisons où l’on trouve une piscine intérieure privée. Cette piscine à la géométrie surprenante est réalisée cette fois en béton armé.
La modernité ne s’arrête pas là. Cette piscine est située dans une pièce dont la façade sud est entièrement vitrée. Les baies s’escamotent dans le sol, laissant ainsi l’architecture se dématérialiser, système très ingénieux pour l’époque.
Devant trône une impressionnante terrasse dédiée à la piscine et au complexe sportif, ce dernier se composant d’un gymnase ainsi que d’une salle de squash.
On peut le dire, cette maison est un véritable terrain d’expérimentation de nouvelles tendances pour l’époque. On y trouve alors des pièces et éléments architecturaux toujours plus étonnants les uns que les autres : un salon rose, un salon de coiffure, une salle dédiée à la conception de bouquets de fleurs conçue par Van Der Doesburg et une chambre en plein air avec un lit suspendu.
Les extensions se succèdent aux grès des envies de Charles et Marie-Laure de Noailles.
La petite maison devient un véritable paquebot. Avec pour proue le jardin triangulaire dessiné en 1925 par Gabriel Guévrékian. Malheureusement, ce jardin lui aussi expérimental pour l’époque a subit des problèmes avec les joints des mosaïques, nécessitant plusieurs reconstructions, tout comme les toits-terrasses. Charles de Noailles décide alors de le faire recouvrir. Il sera par la suite reconstitué en 1986.
La villa offre un panorama exceptionnel surplombant la baie d’Hyères avec au loin l’île de Porquerolles.
Le propriétaire souhaite ajourer le mur du jardin faisant face au panorama. L’architecte sceptique sur cette idée s’exécute tout de même. Le paysage est alors découpé comme un tableau.
Le riche couple de propriétaires est friand d’art, ils sont d’importants mécènes de leur époque. Ils ont des idées avant-gardistes et engagées, ils sont généreux et collectionneurs.
C’est ainsi qu’ils offrent la possibilité aux artistes de l’époque de se produire, ils leur rendent service soit financièrement, soit matériellement. Une anecdote qui prête à sourire : Marie-Laure de Noailles aurait donné sa Zil à César pour qu’il réalise sa première compression. Ils achètent, repèrent, commandent et organisent des expositions et des soirées mondaines regroupant artistes et intellectuels, ils font partie de plusieurs organismes culturels. Ils ont des centres d’intérêts variés concernant l’art : photographie, peinture, sculpture, littérature, cinéma, musique, danse… Charles se consacre à l’ethnographie. Leur mécénat est extraordinaire, ils ont joué un rôle important pour le tremplin de certains artistes et cinéastes.
La Villa Noailles était alors une joyeuse « galerie » permettant à ses propriétaires de faire cohabiter des pièces d’art et de design aux influences diverses.
Pour les Noailles la modernité est le collage/montage. On le retrouve alors autant dans la construction de la villa que dans l’aménagement mettant en scène des mobiliers issus des courants les plus divers. Pour les œuvres d’arts, il y avait entre autres Brancusi, Alberto Giacometti, Mondrian, Henri Laurens et Jacques Lipchitz.
Pour le mobilier aux lignes industrielles et aux structures métalliques, ils dénichent des pièces dessinées par Pierre Chareau, Eileen Gray, Djo-Bourgeois et Francis Jourdain.
Le cours de la vie fait que les époux se séparent et délaissent leur maison de villégiature.
A la mort de sa femme en 1973, Charles de Noailles vend la Villa Noailles à la ville d’Hyères. Elle fut malheureusement laissée à l’abandon quelques années, squattée.
Puis inscrite à l’Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques en 1975. Restaurée en plusieurs étapes de 1986 à 2012, elle est aujourd’hui ouverte au public et propose des expositions et concours sur les thèmes de la photographie, du stylisme, de l’architecture, du design, etc…
Afin de faire perdurer cet esprit de mécénat, la Villa Noailles accueille et met en avant de jeunes artistes et designers d’aujourd’hui.
Plus d’informations sur le lieu : Villa Noailles (site officiel)
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j’aime bien se cite je vous le conseille
Cette villa de Mallet Stevens est considéré comme un manifeste mais contrairement à le Corbusier, ce n’est pas un manifeste opératoire qui sert à d’autres architectes. Il s’est placé dans une impasse en faisant des villa de 1800 m2 pour ultra riches… Par ailleurs la lecture essentiellement plastique de son oeuvre est loin d’être évidente…
C’est un objet architectural de 1800 m2 et pas simplement un objet à portée de main, de la bourse et de la pensée d’un quidam. Je me demande s’il ne faut pas être un architecte ou du moins avoir quelques bases pour critiquer un architecte et son architecture . Mallet Stevens a fait essentiellement des villa d’ultra riches, liés au monde de la creation artistique et culturelle. Si quelqu’un veut bien ma faire la difference dans le dessin et le dessein pour ne pas dire le design avec Hoffmann , son maître viennois et ses contemporao=ins comme Le Corbusier et Perret
Une version epurée encore plus blanche et à la volumétrie encore plus cubique du palais Stoclet de son oncle terminé 10 ans plus tôt à bruxelles par l’archi autrichien Josef Hoffmann. On retrouve cela encore mieux dans ses dessins pour les villa Doucet et Poiret, deux couturiers …https://aaaarchitetturacercasi.files.wordpress.com/2012/03/fontana-esterna-palais-stoclet.jpg
On voir bien mieux les deux influences dans le dessin au trait en prespective de la villa du couturier Doucet (1924) que dans des plans photo de ce paquebot moderne bien plus ostentatoire qu’épuré à la Bauhaus et à la Mis Vean der Rohe( barcelona) si on regarde en detailhttps://s-media-cache-ak0.pinimg.com/564x/89/8d/a4/898da4edb9bc800179ea38f39ffb75bb.jpg