Pendant le mois du blanc (et en prolongation partielle jusqu’au 15 Mars compte tenu du succès rencontré par l’exposition), Le Bon Marché Rive Gauche donne Carte Blanche à l’artiste chinois Ai Weiwei avec l’exposition « Er Xi, Air de Jeux » où culture et histoire s’entremêlent. L’exposition se décline en trois parties: les vitrines rue de Sèvres, les suspensions de créatures mythologiques sous les verrières et les installations au sol.
C’est Aristide Boucicaut, fondateur du Bon Marché et génie du marketing, qui lança le mois du blanc en janvier 1873 afin de réveiller les ventes, en baisse après les fêtes, avec des séries spéciales d’articles assortis à la neige, la couleur blanche respectée par l’artiste.
« Exposer au Bon Marché Rive Gauche c’est user d’un nouveau média, le grand magasin, pour aller à la rencontre d’un autre public, aussi large que celui des musées » précise Ai Weiwei.
Et ce n’est pas un hasard si Ai Weiwei a choisi le Bon Marché Rive Gauche pour sa première exposition sur territoire Français depuis « Iron tree » au Grand Palais lors de la FIAC de 2013: il est le fils du célèbre poète et dissident Chinois Ai Qing , exilé politique au Xinjiang dans le désert de Gobi avec sa famille. Toute littérature étrangère étant interdite, Ai Weiwei grandi avec les récits de romans français transmis par son père qui étudia en France de 1929 à 1932, dont le Bonheur des Dames, qui immortalise l’ascension du grand magasin tout en fer et verrières fondé en 1852 par Aristide Boucicaut et réalisé par Louis-Charles Boileau, Armand Moisant et Gustave Eiffel.
« Le Bon Marché Rive Gauche fait un choix audacieux qui souligne notre ouverture au monde et aux artistes contemporains. Cette exposition est aussi un hommage à la Chine et à son patrimoine culturel. Lors de notre rencontre à Beijing, j’ai été séduit par Ai Weiwei, sa générosité, son attachement à Paris et à sa sensibilité à l’histoire du Bon Marché » commente Patrice Wagner, Président Directeur Général du groupe Le Bon Marché.
L’escalator blanc et noir quadrillés installé en 1990, signature postmoderne de prédilection d’Andrée Putman, a été spécialement ornementé de dragons Chinois à l’occasion de l’exposition d’Ai Weiwei:
Un magnifique jeux de néons a récemment été rajouté aux escalators afin de mettre en valeur les ornements de dragons Chinois:
Rien ne destinait donc Ai Weiwei à devenir l’artiste, architecte, adepte des réseaux sociaux et opposant politique qu’il est devenu et dont l’exposition rétrospective à la Royal Academy of Art vient de s’achever en Décembre dernier. Il a longtemps pensé d’ailleurs devenir fermier, le statut d’ouvrier étant inaccessible à ce fils d’opposant politique. Mais l’élan artistique en lui a pris le dessus, et il est maintenant considéré comme l’une des figures les plus puissantes de l’art contemporain.
Tellement puissante en Occident qu’il a été arrêté par la police, officiellement pour évasion fiscale, et libéré sous caution en, après 81 jours d’enfermement dans un lieu inconnu et des conditions dégradantes, ce qui avait soulevé une vague d’indignation à travers le monde. Resté en liberté conditionnelle et ne pouvant quitter Pékin sans autorisation, ce n’est qu’en Juillet dernier qu’il récupère son passeport.
Pour cette exposition, Ai Weiwei s’est inspiré du Shanhaijing, le Livre des Monts et des Mers pour réaliser ses créatures mythologiques: un ensemble de contes épiques et de légendes populaires imaginées dans l’antiquité Chinoise et racontées aux enfants depuis plus de 2000 ans.
Les vitrines:
Les vitrines rue de Sèvres exposent les créatures du Shanhaijing, avec dans l’une d’entre-elles un clin d’œil à Marcel Duchamp, grande influence d’Ai Weiwei, en reconstituant en bambou la scène peinte par Duchamp en 1912, « Nu descendant un escalier ». Dans une autre vitrine nous retrouvons le tabouret à trois pieds présenté dans l’installation d’Ai Weiwei à la Biennale d’art de Venise en 2013, interrogeant et revisitant l’importance du patrimoine historique et culturel dans le domaine artistique.
Autre référence: celle de l’omniprésence des autorités chinoises à Pékin auprès de l’artiste avec des cameras de surveillance dont le dessin est lui aussi composé de bambou. « Tout art de qualité comporte une dimension critique, l’art est pensant, une forme de penser le monde qui se concrétise dans une esthétique, une prise de position éthique et politique » comme le dit si bien Alfredo Jaar, également artiste contemporain politiquement engagé. L’œuvre d’Ai Weiwei s’applique en effet à faire penser….mais aussi à rêver.
Les suspensions:
« Cette exposition s’adresse à l’enfant qui est en chacun de nous » raconte Ai Weiwei (père d’un fils de 6 ans, Ai Lao) qui a suspendu ses créations afin de soulever le spectacle des stands d’enseignes omniprésentes et multicolores au sol. Pari réussi pour celui qui pourtant a auparavant dit « éviter la confrontation avec l’espace »: la couleur blanche devient le fils conducteur du décors, s’allie merveilleusement bien avec la structure architecturale du magasin, les perspectives changent selon l’endroit duquel les créations sont observées.
Pour la réalisation de ces créatures mythologiques, Ai Weiwei a choisi la technique ancestrale des cerfs-volants traditionnels, qui allient la souplesse du bambou à la légèreté du papier de soie.
« Je voulais repousser les limites de ce médium qui est très populaire en Chine. Je me suis adressé au meilleur fabricant de cerfs-volants Chinois, Monsieur Wong Yong Xun, dans la province du Shandong. Ces personnages sont des prouesses techniques. En même temps, c’est un artisanat très simple, tout le monde peut réaliser un cerf-volant » souligne Ai Weiwei. Nouvelle référence ici au Ready Made de Marcel Duchamp, grande influence d’Ai Weiwei, qui consiste à prendre un article ordinaire de la vie le plus prosaïque qui soit et placé de manière à ce que sa signification d’usage disparaisse sous le nouveau titre et le nouveau point de vue. Ici dans « Er Xi, Air de jeux » il s’agit du fantastique, du monde des rêves et de la mythologie.
Les installations au sol:
Les installations massives au sol sont également tirées du Shanhaijing, elles aussi de couleur blanche. Une vidéo sur le travail de l’artiste y est aussi présentée.
L’installation de ces créations a commencé le 05 Janvier et nécessité l’intervention de l’équipe de 10 personnes du studio d’Ai Weiwei ainsi que 5 monteurs du personnel du Bon Marché, selon Frédérique Bodenes, directeur artistique du Bon Marché.
Ai Weiwei est un personnages aux formes d’expressions multiples, souvent décrié, un personnage rempli de dualité, opposant politique qui pourtant rend ici un brillant hommage à la Chine au travers de cette merveilleuse exposition. Ai Weiwei est dans toutes les directions, mais surtout celle de l’esthétique pensante. Comme le disait l’intellectuel et artiste Italien Paolo Pasolini, la culture est une prison, et le rôle des intellectuels est justement de sortir de cette prison afin de toucher un public plus large. Car la culture a un pouvoir sur la vie, tant sociale que politique. Et cette prise de position passe par l’art, car il n’y a pas de représentation sans esthétisation.
Une exposition à voir et à revoir au Bon Marché Rive Gauche du 16 janvier au 20 Février, prolongations jusqu’au 15 Mars (hors vitrines et installations au sol) au Bon Marché Rive Gauche, 24 rue de Sèvres, Paris 7ème.
Plus d’info sur l’exposition: Er Xi, Ai Weiwei
Crédit photo (si non cité): Seen By Kloé pour Blog Esprit Design
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Article mis à jour 22.02.2016
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