Architecte et accessoirement Reporter pour BED, Martin NAPOLEONI s’est aventuré le temps d’un projet dans l’univers du design, associé à Anatole JEANNOT. Tous les deux, ils ont fondé NAPO+JEANNOT et réalisé un lustre inauguré lors de la biennale du design de St Etienne 2015. Martin revient sur cette expérience.
Tout a commencé par une année chargée. Trop chargée peut être.
Étudiant en Master 2 à l’ENSA de Lyon, ce dernier semestre était celui qui voit l’accomplissement de cinq années d’études à travers le PFE (Projet de fin d’étude). Un an à travailler en binôme sur deux projets architecturaux. Un an à échanger, questionner, re-questionner, tenter, chuter et parfois jubiler. Un an à tout partager en somme, les joies comme les galères. Un an de transition vers la vie professionnelle.
Anatole JEANNOT, qui fut mon double cette année là, et moi, avions un point commun qui nous avait permis de retrouver dans un premier temps, d’échanger dans un second et de ne finalement plus se quitter. Ce point commun était une philosophie de vie, une façon de voir les choses.
Nous avions décidés et compris tous deux que si l’architecture était par définition l’art de bâtir pour des êtres vivants, il fallait vivre et être vivant pour être architecte et nous avions notre vision de la chose. Vivre, c’est défendre des idées, c’est choisir sa vie sans jamais la subir, profiter des choses de la vie et toujours faire de la convivialité une allié. Et pour nous, jeunes architectes en devenir, c’était aussi de refuser la charrette, être raisonnable dans la déraison, toujours se remettre en question et enfin assumer notre amour pour le béton.
Passionnés l’un comme l’autre par l’architecture et plus largement par la création et l’entrepreneuriat, nous étions embarqués pour cette dernière année. Nous avons travaillé, beaucoup travaillé et avons profité de nos moments de détentes pour errer, flâner et échanger à propos d’un avenir à porter de main.
Et puis un jour, un jour comme les autres, un jour de plus où nous avions englouti dix pains aux chocolats, absorbé huit cafés, avalé une pizza et préparé un risotto, nous sommes tombés sur le sujet d’un concours étudiants.
Pour une fois, la date de rendu n’était pas trois jours après, mais bien deux mois plus tard. Nous avions donc un peu de temps, beaucoup d’envie, mais surtout une interrogation. Cette interrogation concernait le design. En effet, organisé par un promoteur immobilier lyonnais, le concours portait sur la création d’un luminaire…
Après étude du sujet, il fallut nous rendre à l’évidence. Si la démarche de projet nous était devenue familière pendant ces 5 années à l’ENSAL, le projet de design, ses contraintes, ses enjeux et sa communication était d’un tout autre monde.
Nous savions à ce moment là qu’il n’était guère raisonnable de se lancer dans de tels projets pendant une année de diplôme, mais nous savions également l’un comme l’autre que nous avions besoin de projets pour avancer. Et puis, tant pis, il s’agirait là d’une expérience, qui aurait au moins la vertu de nous distraire.
«Sur un malentendu, ça peut marcher.»
Connaissances théoriques, analyse du sujet, intuitions et discussions, nous étions lancés. Et quand, par errements ou hésitations nous nous demandions pourquoi nous faisions cela, nous ne cessions de répéter l’adage aussi célèbre que peu sérieux « Sur un malentendu, ça peut marcher ! »
Avant de s’attarder sur la genèse du projet, il est nécessaire de resituer ce concours.
Lancé par le groupe Créquy dans le cadre d’une réhabilitation privée de «La Condition des Soies » à Saint-Étienne, ce concours destiné aux étudiants offrait à ses lauréats la réalisation de leur projet, ainsi que son installation IN SITU pour une durée de 20 ans.
«La condition des soies », lieu emblématique de Saint-Étienne et site du projet, est aujourd’hui encore un des symboles de feu l’économie textile de la ville. Ce bâtiment a eu notamment pour rôle pendant près de 50 ans d’assurer les échanges commerciaux de la soie dans des conditions hygrométriques bien précises, avant d’héberger l’École Supérieure de Commerce de Saint-Étienne jusqu’en 1997, puis d’être inoccupé pendant près de 15 ans.
Propriétaire du bâtiment depuis 2009, le groupe Créquy s’est engagé dans une réhabilitation ambitieuse et haut de gamme selon un programme inédit. La Condition des Soies est en effet le premier monument historique à être réhabilité selon les normes Basse Consommation (BBC).
Afin de parachever cette réhabilitation, et plutôt que de racheter un lustre qui avait été volé des années auparavant, il a été choisi par la direction artistique du groupe d’organiser un concours afin de redonner à la Condition des Soies un lustre qui lui soit dédié.
Une question de forme.
Après une brève hésitation concernant notre degré d’investissement dans ce projet comme c’est souvent le cas pour un concours, nous avons décidé de mettre toutes les chances de notre coté. Nos questionnements ont alors été divers.
Quelle est la bonne manière de répondre à un concours ? Quel type de projet a-t-il davantage de chance de l’emporter ? Que recherche le jury? Quelle est la communication la plus adaptée ? Comment se démarquer ? Telles ont été les questions qui nous ont animées.
En tant que futurs architectes, notre candidature ne nous paraissait pas être des plus légitimes et cherchions un angle d’attaque.
Devions-nous faire semblant d’avoir fait du design toute notre vie ? Nous ne le pensions pas et avons rapidement écarté cette idée au profit d’une réponse plus logique, plus évidente et surtout plus légitime. Nous allions répondre à ce concours en tant qu’architecte.
Nous voulions faire ce que nous avions toujours fait et défendu : c’est à dire concevoir un projet répondant à un concept fort, à une idée qu’il nous serait simple d’étayer, de défendre et de faire comprendre à un jury.
Nous cherchions tout simplement à rendre nos intuitions légitimes et logiques et il nous fallait pour cela tirer le projet de son environnement. Architectes, nous avons décidé que ce lustre serait un prolongement de l’architecture.
Si nous avions pour ce concours un certain nombre de documents (plans, photos et vidéos), il nous était par ailleurs impossible de mettre les pieds sur le site pendant le chantier pour des raisons de sécurité.
Puisqu’il nous semblait difficile de concevoir et dessiner un projet dans ces conditions, nous avons choisi de répondre à ce concours par un cahier des charges constitué de règles de composition.
Esthétiques, géométriques et volumétriques, ces principes de conception définissaient un projet générique, une recette à appliquer IN SITU.
Un projet transversal.
Si cette première partie de conception avait été assez rapide, la synthèse graphique de celle-ci s’avérait pour nous plus floue. Une fois encore nous manquions cruellement de références.
Nous avons épluché les planches de concours en Design, cherché à en cerner les principes, les accents. Nous étions quelques peu perdus.
Cependant, nous avions une certitude, celle que ce projet devait être transversal. Une passerelle de l’architecture au design, puisque telle avait été notre lecture du projet.
Nous voulions que notre dossier de participation fasse partie-intégrante du projet, cette transversalité a dicté notre rendu.
Nous étions persuadés qu’un concours se joue dès le dossier décacheté. Il nous fallait donc créer un moment, un instant. Pour une fois, nous étions dans notre élément. Nous avons donc voulu que chaque élément de rendu devienne une expérience. Une pochette, un dossier, un logo, une planche pliée, un déplié, nous voulions tout scénariser.
Une petite dose d’Humilité.
De quoi avions-nous besoin pour rendre notre projet viable et compétitif ? Principalement de connaissances que nous n’avions pas.
Si l’architecture nous avait appris la complexité de projet, elle nous avait également appris l’écoute et l’humilité. Il nous a donc semblé nécessaire de faire appel aux personnes compétentes et à leur savoir-faire plutôt que de s’improviser tour à tour graphiste, électricien, prospectiviste ou ferronnier.
Nous sommes allés à la rencontre d’un antiquaire de St-Ouen avant d’échanger avec des professionnels de l’électricité. Nous nous sommes inspirés de travaux graphiques et avons discuté avec des entrepreneurs prolifiques.
Nous étions entourés, nous étions inspirés.
Et comme toujours, là où la confiance règne, la charrette guette. Une image 3D faite au dernier moment, un envoi tardif fait en courant. C’était fini, nous pouvions souffler et presque oublier. Et puis il y eu le jury, un peu d’attente et puis ce prix. Tout aussi surpris que ravis, nous étions sur le point de comprendre qu’il s’agissait en fait que du début de la partie.
Et maintenant, comment fait-on ?
Cette question naïve a été notre première interrogation.
Le premier contact avec le groupe Créquy n’avait duré que quelques heures, mais nous avions immédiatement accroché avec l’esprit de cette société. Si nous n’avions que peu échangé, il y avait déjà des valeurs sur lesquelles nous nous y étions retrouvés.
« Maintenant que vous avez gagné, il va falloir réaliser… » C’est par ces mots amicaux que notre première réunion fut lancée. Ce qui était à venir était divers et varié.
Le juridique fut la première de nos préoccupations, la réalisation du projet fut la seconde et la communication acheva de remplir nos emplois du temps.
Nos premières impressions au sein du groupe Créquy furent vite confirmées et nous fûmes ravis de constater que le concours pour lequel nous avions concouru était une forme de mécénat. Un projet dont le but était de mettre en lumière des étudiants et de tout mettre en œuvre pour les aider à se lancer… Nous étions bien tombés !
Ébauche de contrat, plan de communication, premières approches constructives, le projet était lancé.
D’un projet gagné à un projet réalisé.
S’il y a dans le gain d’un concours toujours une part de chance, le chemin qu’il reste alors à parcourir est en grande partie fait de travail, qui n’en garanti pas pour autant la réussite. C’est là que réside tout l’enjeu de ce projet et plus généralement les enjeux de tout projet créatif. Comment passer d’un concept à la réalité ? De quelle manière mettre la technique au service de la réalisation d’une idée?
Ce travail, c’est là tout simplement la réalité du métier. C’est faire le montage de projet qui permet de coller au plus près de l’effet recherché, c’est se confronter à la réalité sans jamais perdre la ligne directrice de ses idées.
Dans le cas de la réalisation de ce projet, plusieurs points ont été cruciaux et apparaissent aujourd’hui comme étant les éléments charnières du projet. Le premier point concerne le juridique, c’est à dire la contractualisation de notre relation avec le groupe Créquy. Le second concerne la difficulté que nous avons eu à fixer le modèle sur le plan de la volumétrie. Et le dernier point, qui est resté longtemps d’actualité, est le travail de la lumière.
Alors que nous avions lancé simultanément le juridique et le travail de formalisation, notre conscience croissante de l’importance du facteur juridique nous a fait stopper net, afin de nous consacrer entièrement à ficeler un contrat. Nous attendions donc avec impatience que nos destins soit juridiquement liés avant de reprendre notre conception où nous l’avions laissée.
Si les points que nous avions à régler étaient divers et soulevaient beaucoup de questions, notre résolution fut pragmatique. Nous avions décidé de procéder par étape. Un système par élimination permettant de résoudre l’ensemble des questionnements, l’un après l’autre.
Plus qu’un contrat.
Qui dit travail dit contrat. Souvent celui qui lie un salarié à son employeur, d’autre fois celui qui définit une mission ponctuelle. C’était notre cas.
L’aspect juridique de la création a été pour Anatole comme pour moi une découverte de chaque instant. Tout d’abord, nous avons découvert qu’il ne s’agit pas seulement de définir des droits et des devoirs en rapport avec un projet bien précis. Cela va bien au delà. Ce cadre juridique préfigure l’ambiance d’une entreprise, les manières de faire au sein de celle-ci, la personnalité des dirigeants et les relations à venir.
Dans le cas précis du concours FIATLUX! dont nous étions lauréats, il s’est avéré par la suite que ni eux ni nous n’avions d’expérience en la matière.
Si une entreprise de promotion immobilière comme Créquy a bien évidement un service juridique pour ce qui est de leurs affaires courantes, il se trouve que personne n’avait encore étudié la notion de propriété intellectuelle (P.I). Mais c’était sans compter sur la philosophie de l’entreprise!
Chez Créquy, il est courant de constamment remettre en cause les manières de faire les choses et l’on part du principe que personne n’est réellement légitime pour un poste ou une tâche. Cela signifie qu’avec du travail, de la personnalité et de la bonne volonté, tout est faisable. C’est d’ailleurs en ces termes que je définirai aujourd’hui ce promoteur atypique.
Personne n’avait jamais étudié la notion de P.I et bien, rien de grave, il suffirait de s’y mettre.
C’est ainsi qu’une personne de la communication s’en est chargée et qu’un contrat nous est tombé entre les mains, avec pour seul conseil de prendre soin de le lire et de le relire, afin de vérifier que tout aille au mieux. Ce fut notre première bonne surprise.
Nous étions face à des gens volontaires (Pour rappel, Créquy a préféré organiser un concours plutôt que d’acheter simplement un lustre en salle des ventes…), qui a aucun moment n’a semblé vouloir introduire un rapport de force. Nous étions bien tombés. Malgré cette bonne volonté, notre constat fut sans appel. Nous étions néophytes, il nous faudrait apprendre.
Quelques coups de téléphone plus tard, un premier avis. Nous avions dans les mains un contrat que nous devrions pouvoir signer sans soucis. Seulement, quelques heures plus tard et après avoir questionné un designer, volteface! Ce contrat présentait semble-t-il des closes susceptibles de nous faire perdre instantanément la quasi-intégralité des droits sur l’œuvre…
Notre décision était prise. Nous prendrions le temps qu’il faudrait, mais le contrat signé serait un contrat dans lequel personne ne serait lésé. L’importance du cadre juridique commençait à devenir claire et primordiale à nos yeux ! Nous avons fait des recherches et pris ainsi soin de décortiquer chaque article, chaque mot.
Le groupe Créquy nous apparaissait comme étant attentif à nos intérêts, et pourtant ils étaient en passe de nous déposséder de nos droits par contrat… Etait-ce sciemment ? En avaient-ils seulement conscience ?
Et bien non, ils avaient simplement cherché à cadrer juridiquement le concours, sans pour autant savoir ce que la signature d’un tel contrat signifiait pour nous, jeunes designers.
Nous avons pensé un temps à tout arrêter si ces intentions s’avéraient exactes, mais nous avons été rapidement rassuré. Il ne s’agissait que d’un quiproquo uniquement du à une rédaction maladroite. Leurs réelles intentions avaient toujours été de faire du mécénat et de nous mettre en avant, nous ne l’avions pas encore compris.
CREQUY souhaitait que nous soyons et restions les seuls et uniques décideurs concernant notre projet, que cela puisse nous servir de tremplin et que nous puissions l’éditer si nous en avions l’envie. En contrepartie, puisqu’il y a toujours des contreparties, le groupe Créquy souhaitait uniquement que cette opération de mécénat ait un certain retentissement et qu’il participe de la construction de sa notoriété de promoteur/ acteur de la ville, selon une approche qualitative et nouvelle.
Nous étions dans le cadre d’une bienveillance mutuelle, nous venions de le comprendre, et tout allait devenir plus simple. Il suffisait à présent de définir au mieux les intérêts des parties en présence.
Pour eux d’obtenir un droit à l’image qui leur permettrait de faire de la communication sous différents types de support, et pour nous d’avoir la garantie d’une maitrise du projet, ainsi que de la paternité de celui-ci. Une fois ce constat fait, il s’est avéré que c’était en fait plus simple et clair que nous l’avions imaginé.
Une fois encore, nous avons fait fonctionner notre réseau. Pauline JEANROY, jeune avocate spécialiste de la propriété intellectuelle, a rapidement accepté de nous aider dans le montage de ce contrat. Après une brève étude de celui-ci, son avis fut sans appel. Le contenu de ce contrat ne nous était pas favorable et sa forme le rendait non valable. La validité d’un contrat n’est qu’une question de mots et de détails, nous commencions à le comprendre.
Une solution nous a été proposée afin de faire au plus vite et au plus simple. Il s’agissait d’organiser une table ronde avec les différents acteurs liés par le contrat et d’utiliser l’avocate en tant que médiatrice afin d’éviter les multiples allers-retours de mails liés aux inévitables ajustements avant une version finale.
Cette tentative échoua puisque personne chez Créquy n’était réellement responsable de ce projet. Avec du recul, nous pensons aujourd’hui que l’idée de consulter un avocat les avait quelques peu effrayés. Quoiqu’il en soit, les rôles se sont inversés. Ayant reçu carte blanche de leur part pour la mise au point du contrat, c’est finalement nous qui avons ficelé la partie juridique avant de la leur soumettre pour signature. Signature qui s’est accompagnée de la remise des prix qui n’avait toujours pas eu lieux. C’était le 17 Juillet 2014, nous avions gagné le concours le 4 Avril 2014…Cependant, nous étions, une bonne fois pour toute, lancés !
D’une recette à un objet.
Nous pensions avoir été clairs et il n’en était rien. Ce concours, nous l’avions gagné en expliquant notre proposition comme s’il s’agissait d’une recette.
De manière quasi-systémique, nous avions cherché quels éléments d’architecture ou d’histoire allaient pouvoir nous donner des éléments de réponse. Nous avions trouvé ces « ingrédients » que nous cherchions, mais cela ne signifiait pas pour autant pour nous que le projet final était fixé.
A la manière de la pâtisserie ou de la cuisine, la connaissance des ingrédients permet d’avoir une idée de la réalisation finale, mais pas de connaitre le plat, son goût et son aspect visuel…
Ce qui était évident pour nous ne l’avait peut-être pas été pour le jury. Il est vrai que nous avions présenté un rendu qui avait fière allure, même si pour nous cela ne signifiait en rien que le projet était ficelé. Nous étions un peu embêtés. Nos interlocuteurs pensaient que le projet était ficelé alors que cela n’était pas le cas. Nous n’arrivions pas à trouver l’élément qui aurait pu nous permettre de fixer les règles de compositions que nous avions établi.
Cette interrogation a été pour nous une période d’errance. Pour nous qui cherchions à ce que le projet s’impose comme une évidence, il manquait un élément. Il nous fallait figer et formuler notre projet.
Allions-nous effectuer des recherches en maquette? En 3D? Pourquoi pas. Mais était-ce vraiment nécessaire? Nous avions du mal à la croire. Et comme toujours, nous prenions le soin de peser la pertinence de nos idées avant de nous lancer. Nous avions écris tout le processus de conception de ce grand luminaire, nous ne pouvions nous résoudre à ce que la dernière étape soit brouillon et que la méthode ne soit rien d’autre que de la bidouille.
Notre difficulté était pourtant simple à identifier. Un lustre installé dans une cage d’escalier est inscrit dans un parcours et fait le lien entre les différents étages. L’utilisateur de l’escalier tourne autour de ce lustre et peut observer celui-ci selon une infinité de point de vue. L’objet ne peut donc être conçu selon un nombre limité de tableaux (haut, bas, sur le palier, dessous, etc..) puisque cela signifierait que l’effet recherché serait valable à certains endroits et pas à d’autres.
Cette méthode de conception, qui est celle des jardins de la cour à la renaissance, ne pouvait être la nôtre. Les peintres, tout puissants à cette époque là, peignaient des scènes correspondant à des points de vue bien précis de la promenade du roi et par la suite, jardiniers et architectes s’activaient alors afin de créer le tableau. Tout était scénarisé et il était impossible de s’éloigner d’un parcours prédéfini. En bref, tout ce que nous ne voulions pas.
Il nous fallait une autre manière de faire, d’autres pistes de recherches. Sur quoi pouvions-nous nous appuyer? Sur quels éléments baser notre réflexion ? L’escalier, l’histoire, la lumière, le parcours, les normes, la technique ? Aucun de ces éléments ne nous apportaient satisfaction et pourtant le projet devait avancer. Un rendez-vous se profilait avec un serrurier et des dimensions précises nous étaient demandées afin de pouvoir chiffrer. Il fallait avancer, prototyper.
Finalement, c’est la consultation des entreprises et les discussions techniques qui nous ont permis de débloquer le processus. Lors d’une réunion de travail avec le directeur technique d’IBtech à Saint-Étienne, la question du poids fut évoquée, engendrant dans le même temps une réflexion sur l’équilibre et donc la géométrie de ce lustre.
Nous qui ne souhaitions pas avoir un objet trop régulier et trop sage, nous avions dessiné un lustre asymétrique par son plan. Seulement, nous n’avions pas mesuré à quel point cette asymétrie compliquait très largement la tache en terme de d’éclairage, d’équilibre et donc de suspente. D’autant plus que cette forme irrégulière n’était pas sans engendrer des problèmes de rigidité et d’accessibilité à la technique.
C’est ainsi que nous avons modifié nos esquisses pour obtenir un plan en croix qui permettrait de concevoir le montage des cinq modules tous de tailles différentes, dans une faisabilité constructive. Restait à définir la taille de ces différents modules ainsi que leurs positions respectives les uns par rapport aux autres. Et là encore, il y eu un déclic, une évidence.
Alors qu’Anatole achevait un schéma de principe des différents éléments en vue d’une phase de prototypage, nous avons eu le sentiment que son dessin était le bon. Je pressentais une justesse dans le dessin qu’il avait réalisé de manière intuitive. Et pour cause, il venait sans le savoir de faire correspondre la hauteur des éléments avec les différents paliers de l’escalier.
S’il restait bien entendu encore un certain nombre d’ajustements, les grandes lignes étaient fixées. Cela devenait si évident, que nous nous demandons encore aujourd’hui pourquoi nous n’y avons pas pensé plus tôt! Cependant, si la forme était désormais fixée, nous avions pour le moment conçu qu’un objet pendu au plafond, rien de plus.
D’un objet à un luminaire.
Un luminaire est par définition un objet qui éclaire et un lustre est un luminaire suspendu. Un lustre est donc une suspension, même si toute suspension n’est pas un lustre. La différence ? Leurs origines et leurs complexités selon nous. La suspension est un élément simple hérité de l’avènement moderne de l’ère industrielle, issue de l’action simple de suspendre une source lumineuse. Par ailleurs, le lustre est un élément de décoration, chargé du faste et de l’empreinte esthétique de son époque. Il est un élément de mobilier, prolongement de l’architecture qui le reçoit et est lié à son histoire. C’est ainsi qu’il en existe de toutes tailles, tout styles et de toutes les époques. Pourquoi cette analyse et ces comparaisons ? Comme toujours, il s’agissait de cerner au mieux le sujet afin d’apporter une réponse la plus juste possible. Même s’il s’agit là d’une analyse sommaire et peu étayée, cela nous a permis de définir et connaitre ce que l’on défend et de savoir où se situe la réponse que l’on tente d’apporter dans l’histoire de la décoration et du design.
La qualité intrinsèque de la lumière est d’être impalpable. C’est tout son intérêt mais également toute sa difficulté. A la manière de l’architecture qui fait le vide et du vide qui fait l’architecture, la lumière sculpte l’ombre, tout autant que l’ombre révèle la lumière et il est difficile de concevoir ce qui est immatériel.
Dans notre cas, malgré une belle expérience lors d’un projet lauréat à la Fête des Lumières de Lyon, il y a quelques années, la problématique de l’éclairage était pour nous assez étrangère. Non pas que l’intensité lumineuse ne soit primordiale en architecture mais parce qu’elle se passe difficilement d’expérimentation.
Nous pensons aujourd’hui que la question de l’ambiance lumineuse est un véritable sujet de recherche à part entière bien souvent sous évaluée. Si l’ambiance recherchée peut être facilement décrite comme étant feutrée, tamisée, rasante, blafarde, intense ou intime, c’est davantage du coté des moyens que se trouve toute la difficulté. Comment et par quel biais arriver à un tel effet de lumière ? Par quels artifices ? Quelles technologies, quelle opacité ?
Nos discussions à ce sujet furent très intéressantes et enrichissantes, puisque pour la première fois nous échangions à propos de quelque chose d’impalpable, ne bénéficiant pas d’une réalité physique. Toutes nos méthodes de travail étaient à remettre en cause. Il nous a fallu effectuer un travail de sourcing par le biais de références et d’ambiances, afin de pouvoir échanger, débattre.
Par ailleurs, nous étions passés complètement à coté d’un aspect crucial du projet, l’apparence du lustre pendant la journée…En effet, si la fonction d’un luminaire est bien d’éclairer pendant les périodes de moins grandes luminosités, il est tout de même bel et bien présent pendant le reste de la journée…Si cette réflexion peut paraitre anodine, elle a été pour nous comme une révélation. En effet, si nous commencions à cerner et définir au mieux les effets lumineux de notre projet, nous avons longtemps considéré que pendant la journée il s’agirait du même lustre, mais éteint. Un état par défaut en quelque sorte.
S’il n’est pas allumé, il est éteint. Réflexion implacable me direz-vous.
Cependant, les journées ont 24h et nous ne pouvions nous satisfaire d’un projet de lustre dont la présence serait pour la moitié du temps par défaut. Dans ce constat se trouvait une partie de notre réponse. Nous ne voulions pas d’un lustre éteint mais bel et bien d’un objet ayant une existence diurne. Nous ne voulions pas une absence de lumière mais cherchions à obtenir une présence singulière. Tendre vers deux projets distinct le jour et la nuit? Nous y avons pensé.
Pour résoudre ces multiples interrogations, nous avons lancé en prototypage une section d’un mètre linéaire du lustre.
Opacité, technologie, puissance et résolution technique, cet élément nous a permis de valider la plupart des solutions techniques. Du plexiglas poncé à la main dans le rôle de l’élément translucide, des cornières acier pour la structure et du ruban LED pour l’éclairage. Pour la technique (suspentes, accroches des éclairages, entretien, etc..) il a été choisi de ne mettre en œuvre uniquement des solutions lowtech (basic et sans technologie) plus simples , plus fiables et moins coûteuses.
Une fois ces solutions actées, tout est allé beaucoup plus vite. Fabrication des cinq éléments séparément, puis assemblage définitif de la structure de près de 6m… et 300 kg…
Il ne restait qu’à équilibrer la structure, la peindre, installer les plexiglas et les câblages, brancher et tester les éclairages et enfin suspendre le lustre dans son écrin fraichement rénové…
Du moins c’est ce que nous pensions.
La structure du lustre, qui était trop haute pour pouvoir être suspendue chez le serrurier, a finalement nécessité d’être emmenée sur un chantier non loin pour être accroché à…une grue! Sans compter le transport jusqu’à la Condition des Soies qui a dû se faire de nuit à travers les rues étroites de Saint-Étienne…
Sur place, après deux jours de montage, nous étions enfin près. Il y avait un lustre fini, posé au sol et pesant 350kg et au plafond, 9m plus haut, un anneau.
Si ce constat est amusant, c’est que pour des raisons de mauvaise coordination comme il en en arrive tous les jours sur un chantier, il n’y avait plus d’échafaudage dans la cage d’escalier et donc aucun moyen d’accéder à l’anneau de fixation situé au plafond!
C’est finalement après avoir remonté un échafaudage nuitamment et sommairement que nous avons pu installer un système de palan, hisser le lustre, re-démonter l’échafaudage et enfin mettre en lumière notre lustre! FIAT LUX!
Il était 9h55, l’inauguration avait lieu à 10h00, nous étions à l’heure.
[Ce projet ayant pour vocation d’achever la réhabilitation de La Condition des Soies, l’avancement du projet de lustre a été entièrement lié à celui du bâtiment. Le chantier ayant eu du retard dû au caractère historique et à la complexité des travaux, celui-ci aura finalement mis prêt d’un an à être conçu, réalisé, posé et inauguré! Quoiqu’il en soit, cette expérience aura été une formidable opportunité, faite de rencontres, d’expériences et de belles amitiés.]
Merci au Groupe Créquy, à Marie et Romain pour la communication, au studio 5.56 pour les photos, à Henry-Pierre pour son assistance et son soutient artistique de tous les instants, à Hervé pour sa confiance, ainsi qu’a l’ensemble des personnes ayant permis la réalisation de ce projet.
Plus d’informations sur les designers/architectes : Napoplusjeannot
Initiateur : Groupe Crequy
Crédits photos : Studio 5.56 et Martin NAPOLEONI pour NAPO+JEANNOT
MONDIAN BUREN DANS UN BATIMENT ART NOUVEAU Comme les colonnes de Buren les volumes sont introduits dans cet espace, de façon dynamique, avec trois hauteurs. Martin reprend le néoplasticisme comme principe esthétique »Mondrian le défini par deux lois:il n’y a ni courbes ni obliques mais que des traits verticaux ou horizontauxles couleurs sont des couleurs pures uniquement : bleu, rouge et jaune (Mondrian ne parle pas de couleurs primaires : bleu différent du cyan, et rouge différent du magenta), et les non-couleurs : le gris, le noir et le blanc.Le noir étant l’absence de couleur, et le blanc toutes les couleurs ensemble. Pour Mondrian, le noir, le gris et le blanc sont l’immuable, le « spirituel », et les couleurs pures sont les variables. » Ainsi avec ce vitrail associé à ces colonnes c’est un tableau en volume de Mondian Buren. au mileu de s vilutes de l’escalier et de l’architecture art nouveau « Art nouveau se caractérise par des formes ondoyantes et enchevêtrées, des volutes, des enroulements, des arabesques, et privilégie l’esthétiques des courbes et des asymétries. C’est l’art de l’ornementation, des plantes, des fleurs. »
ENTRE LUSTRE D’ESCALIER POUR IMMEUBLE ANNEE 30 DE RAPHAEL ARMAND ET TRAVAIL IN SITU DE DANIEL BUREN… Si je ne me trompe l’immeuble est art nouveau et non art deco comme le suggère le lustre presenté… Or le vitrail de l’escalier me fait penser à une epoque bien posterieure à l’art nouveau…. Le travail de Martin est selon moi un travail in situ comme l’artiste Daniel Buren qui s’accrocha aux stores rayés du ministere de la culture pour faire les colonnes dites de Buren au Palais Royal … On voit donc que la categorisation d’un projet et difficile de même que le statut de l’operation du promoteur classé en mecenat et concours regional Luste de Buren ? « Le projet Emergence a remporté le premier prix (Une dotation de 750€). Le jury a trouvé qu’il était en accord avec la verrière et la monumentalité de l’escalier. » Ci dessous le Luste virtuel de Daniel Buren ?http://33.media.tumblr.com/59c29066a48119f31bb2f090ee9f0778/tumblr_inline_n40kdjuomx1rfz87d.jpg
Cette chronique est tres interessante mais chronique est un mot polysemique . Ceci n’est pas une chronique journalistique qui traite d’un sujet d’actualuté mais consiste à consigner par ordre chronologique une experience vécu. Il manque juste Chronos, c’est à dire le Dieu du temps qui nous donne les dates de chaque séquence.En médecine on nomme maladie chronique, celle qui persiste et dure longtemps . Je constate encore une fois qu’apres 5 ans d’etudes les étudiants en archi ou en design n’ont pas appris faire un contrat et de manière générale ont une connaisance embryonnaire du droit, du business mais aussi du management d’equipes.
THX @ Vincent!