Face à une universalisation ambiante des biens culturels, certains designers choisissent de mettre en avant leurs codes nationaux ou régionaux. Les cinq designers que j’ai sélectionnés interrogent la question de l’identité territoriale. Leurs projets questionnent les spécificités culturelles, les traditions séculaires, l’artisanat, mais aussi les usages et les images qui évoquent un territoire.
Parfois, leurs créations ne sont qu’un prétexte pour mettre en valeur l’artisanat local ou des matières liés à une région. Parfois, ils remettent en cause les codes stéréotypés de leur pays, proches à certains égards du folklore. Parfois encore, certains designers évoquent la place (encore possible ?) de l’exotisme dans un monde qui tend à effacer toute identité culturelle.
Le studio The Home Project Design Studio formé par Álbio Nascimento (PT) and Kathi Stertzig (DE) a développé en 2014, Lugar de estar, qu’ils ont choisi de sous-titrer : Recherches ethnographiques matérialisées. Le studio a une approche générale du design ancrée dans l’artisanat. Il représente pour eux, une manière d’ajouter de la valeur à des méthodes de production séculaires, et ainsi, re-créditer des techniques traditionnelles en perte de vitesse. Leurs recherches matérialisées sont la retranscription des recherches documentaires livrées dans leur livre « TASA book ».
Lugar de estar est assez naturellement le prolongement de ce travail de recherches, et met ainsi en lumière des coutumes, une esthétique traditionnelle, et des usages domestiques réactualisés. Cet ensemble d’objets forme un décor inspiré par les maisons traditionnelles du sud du Portugal dont est originaire Álbio Nascimento.
Ils ont, par exemple, choisi de revisiter un autel mural anciennement utilisé au Portugal pour supporter des lampes à huile et des figures religieuses. Ici, cet objet devient une étagère murale ornée de motifs « Pangaio ». Elle devient grâce à son fond neutre, un espace réservé à l’accueil d’autres objets.
D’une manière différente les boîtes de rangements empilables de hauteurs variées, font écho aux caisses utilisées par les pêcheurs lors de la criée. Le lit de jour évoque quant à lui, le rythme tranquille de cette région et son atmosphère ambiante.
Ces projets combinent des artefacts archétypaux à une approche plus contemporaine de leurs usages.
Plus d’informations sur le projet : Lugar de estar, The Home Project Design Studio, 2014, Allemagne
Le projet de diplôme d’Alice Surel (FR) Patache, questionne la place de la culture provençale. Menés à mal par le tourisme, cette culture et ses objets sont parfois réduits à des clichés. La designer évoque à ce sujet, la cigale en plâtre vernissé, objet souvenir par excellence, considéré comme le symbole de la Provence.
Entre folklore et authenticité, Alice Surel se questionne :
« Qu’est qu’un objet lié au territoire et comment peut-on véhiculer au travers d’une production, une identité géographique et historique ? L’objet souvenir peut-il être vecteur d’artisanat local, de culture, de patrimoine ? »
A travers une collection d’objets, elle revisite des traditions provençales, par des matières, des gammes colorées, des savoir-faire et également un certain art de vivre. Elle imagine entre autres, une cloison Souléu pour se protéger du soleil. Faites de perles en terre cuites émaillées, ces dernières protègent de la lumière tout en captant la chaleur pour la restituer le soir venu. Avec Siesta elle choisit d’évoquer un cliché de l’art de vivre provençal. Elle imagine un banc pour la sieste qui joue avec les codes du radassier, mobilier provençal dédié au repos. Elle remédie au manque de confort de ce type de mobilier et ajoute des coussins amovibles en mousse sous un tressage de paille de marais. Enfin, Flouristo joue sur un incontournable de l’imaginaire collectif provençal, les fleurs. Elle crée une série de vases en terre cuite émaillée, percés et prolongés par de l’osier tressé. La trame d’osier permet de structurer le bouquet et facilite les compositions florales.
Plus d’informations sur le projet : Patache, Alice Surel, 2014, France
Brynjar Sigurðarson, designer islandais, envisage sa création comme le résultat de son contexte culturel. Pour lui, le climat d’un lieu détermine fortement la culture et les usages qui y évoluent. L’approche islandaise de son design est ancrée dans l’artisanat et la technologie, tout en étant expérimentale. La série de pièces uniques qu’il a réalisée pour la galerie Kréo, The Silent Village, en sont la traduction. Elle est le prolongement de son projet de diplôme pour l’Iceland Academy of the Arts de Reykjavík.
Étudiant il choisit de se rendre dans la petite ville de Vopnafjörður dans le nord-est de l’Islande. Il y passe quatre semaines afin d’y découvrir le patrimoine culturel et naturel de son pays. Il y fera une rencontre décisive avec un chasseur de requins qui lui enseignera une technique de tricot pour réaliser des filets de pêche. Il utilise cette technique et choisit de l’intégrer à sa série de meubles. De cet apprentissage et de cette première série, il perpétue cet univers esthétique où la trace du créateur est visible. Il imagine du mobilier où sont assemblés des éléments hétéroclites, les créations de The Silent Village sont faites en bois, tissus, cordes, ficelles, fourrures, plumes, cuir, chaines, crochet, Corian®, flotteurs…
La marque de la post-production et le fait main sont visibles et confèrent à la collection sa singularité. L’identité islandaise est la marque de fabrique qui correspond à la signature de Brynjar Sigurðarson.
Plus d’informations sur le projet : The Silent Village Collection, réalisé pour la Galerie Kréo, Brynjar Sigurðarson, 2014, Islande
Lorine Boudinet (FR), avec son projet de diplôme Videsiyata ki pravrtti, interroge la notion d’exotisme. Plusieurs séjours en Inde sont le point de départ de ses recherches. Elle se donne pour exercice d’évoquer un univers entre imagination, rêverie idéalisée et souvenirs de ses voyages. Elle tente de retranscrire les modes de vie observés, l’impalpable : les émotions ressenties et toute une infinité de détails retenus, couleurs, lumières… Elle s’interroge sur la possibilité de matérialiser de manière authentique une découverte culturelle, territoriale, personnelle.
Videsiyata ki pravrtti est une collection qui a pour ambition de s’inspirer de l’ailleurs sans chercher à décorer l’Ici. Les projets évoquent un art à se laisser vivre. Ils sont une incitation à la contemplation et à l’introspection. La designer décrit ses projets de cette façon : « Sous trois formes différentes, se dessinent trois histoires. Anangaranga est un matelas de sol dont les motifs s’inspirent des peintures illustrant le Kamasutra du Fitzwilliam Museum de Cambridge. Au sein du décor j’ai noté des éléments récurrents : coussins, armes de l’homme et collier de fleurs offert à la femme. Les contours d’Anangaranga reprennent un empilement de tapis dont le volume s’aplanit. Ils sont autant d’invitations à la sensualité. Moucharabieh est l’illusion de l’ailleurs par la puissance esthétique de la lumière filtrée, découpée du soleil tamisé. Cet objet se place de devant une fenêtre et se laisse traverser par la lumière créant un jeu d’ombres changeant au fil des heures. Aurora Borealis II permet à la lumière de donner matière à l’espace. Ce projet crée un effet d’irisation, comme une Aurore boréale à projeter chez soi. C’est un reflet toujours changeant au gré de sa source lumineuse et de son inclinaison. La forme, ce petit monticule, fait référence à l’objet de divination hindou, le lingam de Shiva. Il détient ainsi un caractère propre, une présence.»
Plus d’informations sur le projet : Videsiyata ki pravrtti, Lorine Boudinet, 2014, France
Merci une nouvelle fois à Alice P pour cet article intéressant, orignal, nous permettant de découvrir des projets, des designers sans retenir la nouveauté comme premier argument d’intérêt.
LES FICELLES HYPERTEXTUELLES DE L’EUROPE DU TEMPS PRESENT Ce mode de raisonnement en français est » tirer sur la ficelle » , en anglais « to go too far ». C’est à dire aller trop loin par rapport aux objets presentés. Chaque objet peut être relié par des liens hypertextes à un ou plusieurs objets vus de manière consciente ou non sur la toile. On sait que l’imagination part toujours du connu. Ainsi il y a des familles de designers artisanaux que l’on retrouve à travers le monde utilisant le bois, les fibres , l’argile….. Le designer islandais Brynjar Siguroarson vient d’un pays triop excentré. Basé en Suisse il devient une corde tendue entre l’Ecal et Eindhoven….. entre un atelier à Geneve ou lausanne et les galeries d’art design d’Europe.. Álbio Nascimento formé au Portugal, un pays trop exentré, part vers l’ Italie, vers Milan puis vers l’Allemagne … Ancestral , séculaire, ethnographique , c’est juste un masque du temps present pour survivre hors de l’industrie, de la production en serie qui nous échappe en partant vers la l’Asie. Le’hollandais Bertjan Pot pourtant très techno fait des Scary Beautful-Rope-Masks….